Ben a lu pour nous deux ouvrages

                          

non traduits en français à ce jour, mais déjà ouvrages de référence, qui exposent deux approches du militantisme végane. Débat!

Quand on prend conscience des horreurs infligées aux autres animaux de façon inutile, et des rouages du carnisme qui les rendent possibles dans la quasi-indifférence générale, adapter sa consommation ne suffit souvent pas. On ressent le besoin de lutter autant que possible contre cette injustice, en militant. Cela passe souvent par la volonté de sensibiliser d’autres personnes, voire de leur faire ouvrir les yeux.

Cependant, malgré la masse d’arguments qui appuient une telle revendication, et l’absence d’arguments qui tiennent à son encontre, il semble parfois long et difficile d’obtenir des changements de comportement significatifs chez nos interlocuteurs. Après tout, nous aussi avons probablement pour la plupart suivi un cheminement progressif, plus ou moins consciemment, jusqu’au déclic. Et comme si ce n’était pas suffisamment compliqué, il faut de plus souvent veiller à ne pas les rebuter complètement !

Il me fallait donc, après avoir enchainé les ouvrages remplis d’informations sur les faits et les mécanismes sous-jacents de ce système, réfléchir à la meilleure façon de promouvoir plus d’empathie et de justice. Deux livres, non (encore ?) traduits en français, ont retenu mon attention.

« Motivational Methods for Vegan Advocacy: A Clinical Psychology Perspective”, de Casey Taft.

Et me voilà donc en train de lire cet ouvrage de Casey Taft, co-fondateur de Vegan Publishers™, chercheur et professeur de psychiatrie à Boston. Internationalement reconnu pour son travail, notamment dans la mise en place d’un programme de traitement de la violence conjugale (une autre forme de violence non nécessaire, exercée par des gens qui ne veulent pas nécessairement changer) à l’efficacité avérée, celui-ci voit la violence faite aux animaux comme une extension naturelle de ses travaux. Bref, définitivement quelqu’un qu’il peut s’avérer fructueux d’écouter.

Dans son livre, Taft applique donc son expérience dans le traitement de la violence domestique à la promotion du véganisme. Pour lui, il faut indiquer aux personnes dont le comportement est problématique (dans notre cas, ceux qui consomment des produits animaux) un but clair et précis (le véganisme), tout en les accompagnant dans leur progression.

L’auteur s’oppose fortement à la promotion d’une consommation réduite de produits animaux (et déplore toute l’énergie dépensée par certains à ce sujet), qui est selon lui contre-productive. En effet, est-ce qu’il serait légitime de demander à ses patients violents d’au moins « réduire la violence », en ne l’exerçant qu’une fois par semaine par exemple ? Evidemment, non.

Et indépendamment de la légitimité de la demande, faire ainsi serait beaucoup moins efficace que la promotion d’un arrêt complet, selon lui. En effet, les personnes à qui l’on demande de réduire leur consommation n’ont pas de but précis, ce qui est problématique pour entraîner des changements effectifs de comportement (par où commencer, comment s’y prendre ?), et peut également les faire s’arrêter en cours de chemin vers le véganisme (« Bon, je ne mange de la viande qu’une fois tous les deux jours maintenant, c’est très bien, je m’en satisfais»). Un but précis est donc selon l’auteur souhaitable. Pour lui, les études avancées par ceux qui cherchent à promouvoir une réduction de la consommation de produits animaux se basent sur des considérations de marketing, et ne sont pas recevables quand il s’agit d’entraîner des changements de comportement profonds et durables.

À l’objection qu’une demande trop « extrême » peut braquer les gens et les pousser à ne pas évoluer du tout, l’auteur assure que c’est quand même plus efficace, puisque cela peut préparer davantage la voie à un changement futur. Quelqu’un qui s’oppose initialement à cette demande qui lui paraît extrême l’a au moins visualisée mentalement, ce qui serait le meilleur moyen d’entrainer une réduction effective à long terme, voire de s’ouvrir au véganisme et à l’antispécisme. De plus, le véganisme est la seule demande cohérente, ce qui est selon l’auteur un atout important.

Ainsi, Taft encourage à se focaliser sur l’argument éthique, et à négliger les arguments environnementaux et sanitaires. Il répond à ceux qui lui opposent que ces deux types d’arguments ont été pour eux la porte d’entrée vers le véganisme qu’ils font probablement des généralités de leur cas particulier, et qu’ils auraient pu évoluer beaucoup plus vite vers le véganisme s’ils avaient été soumis aux arguments d’un végane éthique affirmé.

Pour finir ce rapide résumé, précisons que l’auteur insiste sur le fait qu’il faut être affirmé dans ses propos, et dire clairement que le véganisme est la moindre des choses que l’on puisse faire, pour les animaux. Mais attention, il ne s’agit pas d’être agressif, au contraire. Il faut se montrer strict sur la nécessité du véganisme, mais à l’écoute de l’autre, de ses possibles difficultés, et encourager et accompagner chaque petite avancée. Taft décrit également les différents stades de cheminement dans lequel quelqu’un peut se trouver (de l’indifférence totale au sujet initialement, à l’importante phase de « consolidation » des débuts du véganisme, en passant par la phase où les idées commencent à être intégrées, mais qu’elles demandent encore à se traduire en action), et expose les meilleures stratégies à adopter selon lui, dans chacun des cas, pour accompagner les personnes. Des exemples de discussions extraites des réseaux sociaux sont également présentés, pour illustrer les problématiques de communication végane.

Certains points de ce livre peuvent sembler évidents, mais il est toujours intéressant de les lire ou relire. Et le point de vue et les conseils de l’auteur, fort de son expérience, sont très profitables, notamment la partie sur les pièges à éviter dans la communication végane (ne parler que du négatif, etc.).

En résumé, un livre extrêmement intéressant, qui m’aurait presque convaincu de détenir LA solution pour « véganiser » les gens.

… C’était sans compter sur ma lecture suivante !

« How to Create a Vegan World: A Pragmatic Approach”, de Tobias Leenaert.

Tobias Leenaert, connu pour son blog veganstrategist.org, est un défenseur de la cause animale, qui tient à garder un esprit ouvert, sans sombrer dans le dogme, et passionné par l’étude de l’efficacité des différentes approches. Il relate l’avis qu’il s’est forgé au fil de son expérience dans son livre, qui est pour moi un incontournable que tout militant devrait lire (avec le nécessaire esprit critique, évidemment, mais sans a priori). L’ouvrage est plus général que le précédent, puisqu’il traite des moyens d’encourager la mise en place d’un monde végane, y compris en prenant en compte les moyens de lobbying sur les institutions, etc. Je m’intéresserai cependant dans ce résumé à la promotion du véganisme de personne à personne, en comparant aux idées du livre précédent. Autant vous prévenir tout de suite, Leenaert a, tout en douceur et en arguments, remis en cause mes quelques quasi-certitudes acquises un peu plus tôt, lors de la lecture de Taft. Ce qui est très positif.

En effet, Leenaert se base sur une approche très pragmatique, prenant en compte le monde réel dans son état actuel (ce qu’il oppose à une approche idéaliste, basée sur la raison pure, les bonnes intentions et les arguments rationnels, etc.), et expose ses conclusions sur la meilleure façon d’obtenir le plus rapidement possible des changements positifs pour les animaux. Il n’est pas opposé à Taft (et son approche idéaliste) dans l’idée, mais précise que dans l’état actuel, il faut être pragmatique, jusqu’à l’obtention d’une masse critique de véganes, flexitariens et compagnie. Au fur et à mesure des progrès en ce sens, l’efficacité et la pertinence de l’approche pragmatique vont diminuer, et celle de l’approche idéaliste augmenter. Pour lui, nous en sommes encore au stade où une forte dose de pragmatisme est requise, les véganes étant encore très minoritaires.

Quelle est cette approche pragmatique qu’il défend ? Difficile de la résumer en quelques lignes, mais je vais tâcher d’en illustrer les principaux points.

Premièrement, sur les arguments à utiliser lors des discussions : il ne faut pas négliger les arguments environnementaux et sanitaires selon lui. Il va même plus loin en disant que l’argument éthique doit être utilisé avec parcimonie, car il peut braquer les gens et les empêcher complètement d’évoluer. L’auteur défend son point de vue, en contradiction avec celui de Taft, comme suit :

  • Une masse importante de flexitariens a un impact plus fort qu’un petit nombre de véganes, notamment sur le marché des produits véganes disponibles (ce qui facilite à terme la transition de davantage de personnes vers le véganisme ou la réduction de la consommation de produits animaux, entrainant un effet boule de neige).
  • Peu importe la ou les raison(s) initiale(s) pour laquelle on réduit sa consommation de produits animaux, cette nouvelle attitude permet de réduire l’état de dissonance cognitive due au « paradoxe de la viande », ce qui à terme rend plus réceptif à la sensibilité des animaux d’élevage, et donc à l’aspect éthique, seul argument qui pousse à réduire sa consommation à zéro. En effet, comme certains de nous l’ont déjà observé, et contrairement à ce que l’on a tendance à croire, ce ne sont pas forcément uniquement nos idées qui influencent nos comportements, mais également (et surtout, dans le cas de la consommation de produits animaux ?) nos comportements qui influencent nos idées. Quelqu’un qui tient dur comme fer à sa cuisse de poulet sera par exemple probablement moins réceptif à l’intelligence des gallinacés (songez à l’opinion générale sur la corrida, à laquelle peu de personnes participent, par rapport à celle sur la consommation de viande, pratiquée quotidiennement par le plus grand nombre).
  • A l’objection classique (qu’oppose Taft) qu’on ne demanderait pas à un violeur ou un tueur en série de « réduire sa violence » (ce que les arguments environnementaux et sanitaires impliquent), il rappelle les différences entre ces deux cas de figure, dans le monde réel. A savoir que la violence envers les animaux est bien plus « normale », généralisée et institutionnalisée, et que pour être cohérent si l’on veut utiliser ce parallèle, il faudrait s’interposer à chaque fois entre le consommateur et le paquet de viande, comme on le ferait entre un assassin et sa victime. De plus, il est beaucoup plus difficile de se passer complètement de produits animaux dans notre monde actuel, qui en dépend fortement, que d’arrêter une violence conjugale, par exemple. Sans compter la pression sociale à laquelle sont très sensibles certains. Évidemment, de nombreux véganes opposeront, à raison, que ce n’est pas si difficile que cela, et que ce n’est rien par rapport à ce que subissent les animaux. Mais ce qui compte n’est pas notre perception, mais celle des gens que l’on cherche à faire évoluer.

En désaccord avec Taft, Leenaert incite donc à promouvoir également, voire plus, la diminution de la consommation de produits animaux, en plus de l’arrêt complet. Une phrase publiée sur sa page Facebook récemment illustre bien son point de vue : « Si vous demandez aux gens tout ou rien, vous vous retrouvez souvent avec rien ».

L’auteur va plus loin vers la fin de son ouvrage, en proposant un concept plus « souple » de véganisme, qui s’intéresse à l’impact plutôt qu’à une pureté personnelle. Par exemple, il préconise, dans le cas d’une sortie au restaurant avec de nombreux omnivores, de préférer un plat végétarien savoureux à un plat végane ne faisant pas envie (car fait en vitesse par un cuisinier non informé sur la diversité de la cuisine végétale). En effet, le second pourrait faire croire (à tort, mais les convives ne le sauront peut-être jamais) que la cuisine végane est une privation, dénuée de goût, et rebuter les convives présents à aller vers une alimentation plus végétale. Il s’agit donc bien pour l’auteur de mesurer l’impact de nos actions, plutôt que de s’attacher à une éthique et une cohérence absolue qui n’a pour lui que peu d’impact positif, malheureusement, nos comportements étant bien moins rationnels qu’on ne l’imagine.

Certaines objections qui pourraient être faites à cette approche sont traitées, comme à plusieurs autres endroits de l’ouvrage.

Personnellement, j’aurais (encore ?) du mal à appliquer ce dernier conseil, en raison de mon dégoût viscéral acquis pour les produits animaux. Et j’imagine bien qu’une telle idée peut choquer. Mais les animaux méritent bien qu’on garde un esprit ouvert, et qu’on ne rejette pas à tout jamais une proposition qui peut être intéressante, comme celle-ci.

De nombreux autres points de communication sont abordés, comme l’évident mais toujours bon à rappeler YANYA, qui se traduit en français par « vous n’êtes pas votre auditoire », et qui invite à ne pas utiliser uniquement des arguments qui auraient fonctionné sur nous, mais plutôt à s’adapter à l’interlocuteur. Exemple parmi tant d’autres : une personne très conformiste sera plus facilement influencée par un plaidoyer utilisant « c’est bien connu » ou « énormément de gens réduisent leur consommation » que par « c’est scandaleux et généralisé, il faut s’y opposer !». Et encore une fois, les biais irrationnels ne peuvent pas être négligés.

Seuls certains points du livre ont été abordés ici, très superficiellement, et j’invite chacun(e) qui serait interpelé(e) (et les autres) à se le procurer sans hésitation !

Points d’accords et conclusion

On l’a vu, les deux approches proposées sont très différentes, bien que chaque auteur assure que son approche soit basée sur des recherches solides. Ces deux auteurs s’accordent néanmoins sur plusieurs points, parmi lesquels certains me semblent importants :

  • L’agressivité ou le jugement sont dans la plupart des cas contre-productifs (et quand bien même elles fonctionneraient sur certains, il faut aussi penser à l’auditoire général, qui peut être rebuté). Une attitude bienveillante envers ses interlocuteurs est un atout pour les animaux, en particulier envers ceux qui se montrent intéressés ou en transition. Encourager les personnes, en ne négligeant pas les difficultés qu’elles peuvent rencontrer (même si on sait pertinemment qu’elles ne sont rien en comparaison de ce que subissent les animaux) mais au contraire en les écoutant, est la meilleure façon de gagner des alliés et d’améliorer la condition des animaux. Garder son calme est bien évidemment plus facile à dire qu’à faire, notamment face à des murs, des personnes soudain indignées de l’atroce souffrance des carottes (sans que leur consommation de carottes ne soit impactée, curieusement), ou plus généralement de mauvaise foi, alors que le compteur des animaux tués ou les images de L214 défilent dans notre tête. Il est humain de s’emporter parfois, mais je pense qu’il faut autant que possible garder son calme, et penser davantage à l’impact pour les animaux qu’à soulager momentanément sa révolte. Quand la discussion ne mène à rien de positif, il est bénéfique pour tous d’y mettre fin.
  • Malheureusement pour les animaux qui en pâtiront encore un moment, le changement ne pourra être que progressif ; « c’est un marathon, pas un sprint », comme l’exprime bien Leenaert.
  • Corollaire de la remarque précédente : tout(e) militant(e) qui veut faire évoluer les choses doit avant tout prendre soin de soin, en veillant à ne pas trop s’épuiser, pour être efficace sur la durée. En effet, un sentiment de révolte ou d’impuissance mal géré peut mener à une communication plus violente et moins efficace, et un(e) militant(e) qui s’effondre n’est plus d’aucune utilité, faisant perdre un(e) allié(e) aux animaux. La conscience exacerbée du massacre perpétuel dans l’indifférence générale, et le sentiment de relative impuissance, peuvent être délicats à gérer, et il ne faut pas hésiter à faire une pause et chercher de l’aide si nécessaire. Gardons en tête que tout ne repose pas sur nos épaules en tant qu’individu, mais aussi que chaque petite graine plantée ou arrosée dans la tête des gens mène à des améliorations concrètes. Certains soutiendront peut-être que face à l’ampleur du problème, on ne peut pas se permettre d’être patient. Mais au contraire, devant l’endurance que vont demander les changements à venir, « on ne peut pas se permettre de ne pas être patient », comme l’explique Leenaert.

Ce petit aperçu ne saurait retranscrire la richesse de ces deux ouvrages, et j’encourage donc toute personne que l’anglais ne rebute pas à se les procurer sans tarder. En espérant une traduction française prochaine pour les autres.

Personnellement, le bilan de la lecture de ces deux ouvrages, que j’ai trouvé complémentaires, est très positif. Être confronté à différentes idées intéressantes m’a permis d’élargir mon point de vue. Je n’attends plus qu’un débat entre les deux auteurs, pour confronter leurs idées et me faire un avis plus marqué. J

Pour répondre au titre de cette article, il semble bien qu’il n’y ait (malheureusement) pas de « méthode miracle », qui serait à coup sûr la plus rapide et efficace pour arriver à un monde végane (et antispéciste). Il faut s’adapter à chaque situation, et accepter de ne pas avoir toujours la réaction optimale. Après tout, est-ce toujours quand on pense avoir eu le plus d’impact positif que les plus grands changements ont lieu ? Peut-être pas. Il est néanmoins nécessaire selon moi de garder un esprit critique sur notre façon de faire, de rester ouvert et de se renseigner sans a priori sur les différentes approches possibles. Il serait dommage de dépenser son énergie avec une approche qui s’avère effectivement moins efficace qu’une autre. Nul doute que chaque militant trouvera dans ces livres de quoi s’améliorer, même s’il ne partage pas tous les points de vue exposés.